Récemment mis à jour le 19 juin 2015 à 14:07:08
Initiative aux boliviens
L’association bolivienne BOLIVIA-9 (www.bolivia-9.ch) a entamé, à la salle des Avanchets sur terrain verniolan, en date du 24 janvier 2015, la ronde de réunions que la proximité des municipales genevoises met périodiquement sur le tapis depuis que les étrangers y possèdent enfin le doit de vote. Chaque personne étrangère séjournant dans notre canton et ayant derrière elle huit ans de séjour ininterrompu en Suisse figure maintenant d’office sur le rôle électoral de sa commune de résidence. A lui seul, ce fait, dont on ne peut que se réjouir, lui vaut plus d’attention qu’auparavant. Cet électorat, dont on se souciait majoritairement comme guigne naguère, devient fort heureusement objet de courtois appels du pied à orner de ses suffrages les diverses listes de candidats qu’on lui fait miroiter, et où, faut-il le rappeler, il n’a encore nul droit de figurer. Confiner pour une troisième législature depuis 2007 nos co-résidents étrangers dans ce rôle de “chair à élection” reste aux yeux de DPGE une indignité à réparer.
Panel fourni
C’est donc à un panel fourni de politiciens confirmés ou en herbe, saupoudré d’expertise migratoire, intitulé «Politiques communales vis-à-vis des habitants étrangers », que se trouva confrontée une assistance conviée à écouter poliment des discours de campagne avant d’en débattre puis s’égailler et se dégourdir en musique ou, pour les plus assoiffés, converger vers des agapes aux goûts métissés. La Tribune de Genève a rapporté l’événement sous le titre de “L’intégration des étrangers au menu des élections” (http://goo.gl/xeJvmJ). L’association “Bolivia nueve“, qui encadrait le débat par une fête pluriculturelle de l’Unité latino-américaine, a filmé ces déclarations dont vous pouvez visualiser ici les extraits ainsi que quelques réponses aux questions de la salle.
Ayant intégralement assisté à ces échanges, for la partie récréative qui a suivi, je consigne ici, en toute subjectivité, ce que j’en ai retenu.
Modération
M. Jean Musy avait la charge d’animer un débat où, après qu’il eût brillamment résumé les dernières statistiques des effectifs des principales nationalités concernées en Suisse puis à Genève, chaque formation présente au panel fut invitée à déposer son œuf dans le nid préparé à le recueillir. L’on vit donc chaque représentant des Verts, du PLR, du PS, du MCG et du PDC, tous élus ou candidats verniolans, puis celui du parlement des jeunes genevois et plus étrangement encore celui de l’UDF de Corsier, décliner leurs intentions en matière d’intégration pour la législature qui vient.
Autopromotion partisane
Dans un cours très policé et rivalisant de consensualisme, chacun surenchérit sur l’importance que son parti aurait toujours accordé à la participation électorale d’étrangers au titre d’une intégration qu’il affecte de souhaiter ardemment. Le PLR entonna la marche avec M. Laurent Tschopp, confirmant avec quelque lyrisme la vision qu’on peut sardoniquement résumer par “nationalité et assimilation ueber alles”. Heureusement, M. Martin Carnino, socialiste, posa un regard plus nuancé sur les conditions de l’interculturalité en rappelant la position de son parti en principe ouvert sur l’extension des droits sur le plan cantonal, sans que l’on pût y déceler quelque soudaine insistance à avancer dans cette direction. Seul notre coordinateur DPGE, Miguel Limpo prit, au nom des Verts, la peine de préciser que leur appui aux dispositifs d’intégration se basait sur la séparation de principe entre les exigences de la citoyenneté et celles de la nationalité, allègrement confondues par la plupart, et impliquait tant le dépassement de la frontière communale que celle de l’éligibilité. Qu’il soit ici remercié de ne s’être pas contenté comme ses co-panélistes de dérouler le morne chapelet de mesures ou projets en cours qu’ils sont fiers de soutenir. M. Lionel Ricou, rappela des états de service quelque peu anachroniques, à savoir que le PDC avait soutenu l’initiative “J’y vis, j’y vote” (pas sûr pourtant que ce soutien se soit unanimement étendu à la version dite “l’aînée”, comprenant l’éligibilité, qui échoua de peu le même jour). Il fit comprendre que son meilleur atout électoral était de se placer sous l’aile de son chef de file Luc Barthassat et des mesures que ce dernier avait su impulser au National en faveur de l’accès des sans-papiers à l’apprentissage. A noter deux originalités, l’affirmation par M. Thierry Cerrutti du MCG que sa formation, que chacun sait acharnée contre l’emploi frontalier, entendait pousser le soutien aux étrangers résidents jusqu’à leur accorder le droit de vote sur le plan cantonal. Ce soutien inattendu à la revendication de notre association constituerait, si elle se confirmait1J’ai fait remarquer ultérieurement au cours du débat cette contradiction, et même insisté pour prendre au mot M. Cerrutti, lequel n’a pas hésité à confirmer ses dires. Pourtant M. Carlos Medeiros, interrogé en aparté à la soirée portugaise du 28 mars, a clairement réfuté, en tant que vice-président du parti, qu’il y ait eu un quelconque changement sur ce point à la direction du MCG, et affirmé qu’il ne pouvait donc s’agir au mieux que d’une opinion personnelle de son collègue. On jugera de la fiabilité des assertions démagogiques de ce dernier en campagne. En tout cas. elles ne lui ont pas suffi à passer le cap de l’élection., un virage à 180 degrés des positions défendues par ce mouvement à la Constituante, même s’il continue à agiter le chiffon rouge de l’éligibilité. Les prises de position pour le moins farfelues et embrouillées de l’OVNI évangéliste du panel, M. Jean-Luc Ruffieux, apparemment inconnu à Vernier et président de l’UDF de Corsier, amenèrent une note incongrue dans ce concert. Le nez sur ses notes, il bredouilla un sermon dont je n’ai retenu que des injonctions à la jeunesse apprentie à se comporter selon un idéal pétainiste “travail, famille, patrie” revisité à la genevoise, et à se détourner des attraits pernicieux des paradis artificiels pour atteindre à la dignité de l’intégration. Si nous nous souvenons bien, M. Diego Alan Esteban se contenta de pointer que la vie associative offrait heureusement aux étrangers bien d’autres voies que le droit de vote pour participer en dignité à la société d’accueil. Bref, on ne peut pas dire que quiconque ait fait preuve d’inventivité en matière d’intégration, et on sentit qu’il s’agissait plus, du moins pour les candidats, d’éviter à tout prix de faire des vagues ou de commettre d’impair qui puisse compromettre sa campagne, que d’avancer des propositions pour sortir nos amis étrangers des nasses du filet que la confédération et l’UDC prennent quotidiennement soin de resserrer.
Expertise savante
Mme Rosita Fibbi donna surtout un éclairage historique expliquant les mutations affectant la population étrangère par sa transformation progressive à partir d’une migration de type travail temporaire dit saisonnier. Le migrant était alors traité comme “main d’œuvre” non qualifiée, autant dire outil ambulant, et recruté pour sa contribution physique sans perspective d’intégration, contraint de laisser famille au bercail et poussé vers la sortie aussitôt le travail accompli. L’absence d’ancrage social et la dureté des conditions de travail concouraient pour inhiber l’apprentissage de la langue du pays d’accueil au-delà des rudiments nécessaires à la vie fruste des chantiers et baraques. Mais comme l’a si bien formulé Max Frisch, «Nous avons appelé des forces de travail, ce sont des hommes qui sont venus.» Allongement des durées effectives de séjour et luttes syndicales ont fini par imposer comme droit la pratique initialement clandestine du regroupement familial. En parallèle, l’évolution économique vers la globalisation et les retournements de conjoncture contribueront de concert à précariser nombre d’emplois autrefois assurés et à diversifier les qualifications requises. Ces deux facteurs, permanence du séjour et impératifs familiaux, ont abouti à abolir le statut de saisonnier et à façonner un modèle du parcours d’intégration calé sur le passage de la stabilité de l’emploi à l’employabilité des individus.
Si besoin était, l’insistance du panel sur l’importance de l’apprentissage et de l’accompagnement linguistique, l’unanimité de partis rivalisant de bonne volonté sur cette condition nécessaire d’une politique d’intégration, fut une éclatante démonstration des éclairages donnés par Mme Fibbi. Il est indubitablement important de saisir les contextes socioéconomiques et historiques dans lesquels s’inscrit la présence étrangère en Suisse. On est cependant en droit de questionner une certaine unilatéralité du raisonnement appuyant les exigences de sa participation citoyenne sur l’adaptation aux besoins réels de l’économie, trop aligné sur le discours ambiant des milieux économiques, et qui tout compte fait nous a semblé décalé par rapport aux attentes du public.
Débat
Le débat s’anima quelque peu lorsque la salle s’avisa de demander aux orateurs de décliner, au-delà des belles paroles d’encouragement à l’intégration des étrangers, ce qu’ils font ou proposent de concret en direction de ceux qu’on surnomme abusivement les “sans-papiers”, en réalité dépourvus d’une autorisation de séjour en cours de validité, dont la situation familiale et personnelle est fréquemment ubuesque tout en assumant des tâches que l’on s’accorde à reconnaître socialement indispensables dans l’économie dite domestique ou des secteurs mal conventionnés tels que le bâtiment ou la restauration. Rien de bien nouveau n’émergea. L’autre question du public que j’ai retenue portait sur les montants budgétaires que l’Etat ou la Ville engageait en faveur de l’intégration. Le représentant du BIE, M. Nicolas Roguet, présent dans la salle, articula quelques chiffres que je n’ai pas notés, et en profita pour mentionner l’investissement de son service dans la campagne des “J’ai huit ans” d’encouragement à voter, qui démarre.
Conclusion
A l’heure où cet article, entamé fin janvier, va paraître sur notre site, le premier tour des élections communales genevoises, le dimanche 19 avril, est derrière nous, et les commentaires sur les variations des poids respectifs des partis dans les conseils municipaux va bon train, auxquels il ne nous appartient pas de nous joindre ici. Une chose est cependant certaine, elles ne furent pas marquées par une quelconque recrudescence de participation populaire, au contraire, qui a passé de la valeur historiquement haute de 39{dc871dbcee6286fafc7e23e85fb2201f7caea96c8f018668fb658f0f48a92937} en 2011 à quelque 37,75{dc871dbcee6286fafc7e23e85fb2201f7caea96c8f018668fb658f0f48a92937}. Sans préjuger de chiffres définitifs, il est plus que probable que l’étiage de sa fraction étrangère a peu varié, comme si les injonctions répétées des autorités à faire usage de ce droit n’avaient que peu ou pas d’effet, sinon pour inhiber une désaffection plus grande encore que par le passé. Pour notre part, nous pensons que les appels à l’utilisation de droits existants, chèrement acquis il est vrai, ne sauraient être de nature à combler les déficits démocratiques criants que notre association dénonce en ce qui concerne la participation étrangère, en matière d’éligibilité communale évidemment, mais aussi et surtout en matière cantonale. Si festif que soit l’accueil fait par les associations d’étrangers à de tels encouragements, comme l’a été celui auquel nous avons assisté, il ne peut qu’être cosmétique. Partis institutionnels et autorités se contentent pour l’instant de prolonger en quelque sorte la paix constitutionnelle de 2012 en pratiquant périodiquement à l’occasion des élections une drague consensuelle à l’électorat étranger. Or tant qu’ils renâcleront à faire systématiquement campagne pour l’extension de ces droits, rien ne viendra troubler des délibérations où ces électeurs ne peuvent faire entendre l’écho affaibli de leurs besoins et opinions que par procuration.
Dario Ciprut, 22 avril 2015
Notes
- 1J’ai fait remarquer ultérieurement au cours du débat cette contradiction, et même insisté pour prendre au mot M. Cerrutti, lequel n’a pas hésité à confirmer ses dires. Pourtant M. Carlos Medeiros, interrogé en aparté à la soirée portugaise du 28 mars, a clairement réfuté, en tant que vice-président du parti, qu’il y ait eu un quelconque changement sur ce point à la direction du MCG, et affirmé qu’il ne pouvait donc s’agir au mieux que d’une opinion personnelle de son collègue. On jugera de la fiabilité des assertions démagogiques de ce dernier en campagne. En tout cas. elles ne lui ont pas suffi à passer le cap de l’élection.